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La déconjugalisation de l’AAH : un tournant à prendre pour l’indépendance des personnes en situation de handicap.

Publiée le 18/12/21 à 8h17, par Jade Jacquot

Temps de lecture : 6mn.

L’allocation adulte handicapé (AAH) correspond à l’aide versée aux personnes de plus de 20 ans, justifiant d’un handicap invalidant a minima de 80% et se trouvant en incapacité de travailler. D’un montant maximal de 903,6 euros elle est délivrée sous condition de ressources. Bien qu’elle ait été revalorisée ces dernières années, elle pose encore de grands problèmes de précarité, tout particulièrement pour les personnes en couple.

L’équipe de Derrière les sourires s’est plongée dans ce sujet invisibilisé, pourtant crucial dans le quotidien des personnes touchées par des handicap de toutes sortes. Nous remercions le collectif Le prix de l’Amour d’avoir donné de sa voix pour ce documentaire à découvrir ICI.

Être adulte handicapé, qu’est-ce que c’est ?

Il existe une grande diversité de handicaps, certains sont physiques, d’autres psychiques. Certains se manifestent dès la naissance ou surviennent au cours de la vie. Quels qu’ils soient il convient de pouvoir les affronter avec les moyens adaptés. Les maisons départementales des personnes handicapées (MDAPH) ont été créées dans ce but. Il est possible d’engager auprès d’elles les démarches indispensables à la compensation du handicap, notamment le statut de travailleur handicapé (RQTH). 

Ce statut est important car il permet aux personnes en situation de handicap d’être reconnues comme telles et d’être crédible auprès des employeurs, mais également car il donne lieu à l’attribution de l’AAH. 

L’indépendance financière est un enjeu majeur pour les adultes handicapés. Outre une qualité de vie, elle assure une continuité du lien social et un maintien de la dignité individuelle. Beaucoup trop de personnes se retrouvent limitées par leur handicap alors qu’elles ont mis tous leurs efforts à étudier et obtenir un diplôme. Ce constat est profondément décourageant et peut causer chez certains des épisodes dépressifs, voire des tentatives de suicide. En effet, il est souvent difficile d’exercer durablement une activité professionnelle pour les personnes affectées par un handicap. En cause, les déficiences motrices ou psychiques, les traitements altérant la vigilance ou encore les visites médicales à répétition.

Jeune femme sur un fauteuil roulant qui sourit devant son téléphone

La stratégie d’évitement des employeurs

Depuis 2006, toutes les entreprises de plus de 20 salariés sont dans l’obligation d’employer au moins 6% de personnes en situation de handicap sur leur effectif total, à défaut de quoi une contribution est versée à l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées). Une majorité d’entreprises (80%) s’acquittent de ce devoir, néanmoins, toutes ne s’en acquittent pas de la même façon.

En effet, les entreprises concernées peuvent choisir d’accueillir des stagiaires en situation de handicap ou même d’acheter des prestations auprès d’entreprises adaptées (EA) ou d’autres structures agréées rassemblant des travailleurs handicapés. Cela leur permet de remplir leur obligation d’emploi sans s’engager outre mesure avec des salariés jugés “fragiles”.

Si beaucoup d’entreprises privilégient ce biais, ou se contentent même de payer la contribution compensatoire, c’est parce qu’accueillir un travailleur handicapé demande beaucoup d’adaptations (poste et horaires de travail, accompagnement, etc.). Des aides existent dans ce but mais elles ne sont délivrées qu’aux entreprises embauchant les 6% de personnes handicapées exigées. Le pari paraît souvent trop risqué et les entreprises restent sur leurs arrières en privilégiant de verser la contribution au besoin. 

Au total, seulement 19% de travailleurs handicapés bénéficient d’un emploi en CDI tandis que la majorité enchaîne les stages et les contrats courts (moins de 3 mois).

Devant la précarité de l’emploi, l’AAH est donc un recours indispensable mais encore insuffisant.

Comment le montant de l’AAH est-il calculé ?

C’est la Caisse d’allocation familiale (CAF) qui calcule et attribue l’AAH suivant un calcul dégressif en fonction des ressources. Pour une personne vivant seule, et ne pouvant pas travailler du tout, il est possible de percevoir jusqu’à 903,6 euros seulement. C’est bien en dessous du seuil de pauvreté fixé à 1063 euros mensuels.

Et la grande injustice de cette allocation intervient notamment pour les personnes vivant en couple car, ce calcul ne prend pas seulement en compte les revenus de la personne bénéficiaire de l’AAH, mais aussi ceux de son conjoint ! Ainsi, à partir du moment où ce dernier dépasse les 2200 euros de salaire net mensuel, le couple se voit retrancher l’aide tant nécessaire…

indépendance-financière-adulte-handicapé

Être indépendant, être amoureux… Et pourquoi pas les deux ?

Cette méthode d’attribution cause des dégâts considérables car elle revient à demander aux personnes atteintes d’un handicap de choisir entre vivre une histoire d’amour ou garder leur indépendance financière. Car oui, sous ses conditions, il n’est pas compatible de vivre sous le même toit que son être cher et d’avoir sa propre rentrée d’argent. Le salaire du partenaire devient automatiquement alloué à l’entretien de la personne en situation de handicap. 

Cette situation a des conséquences morales et pécuniaires lourdes pour le couple. D’une part une personne gagnant bien sa vie, peut se retrouver à vivre dans la précarité pour pouvoir partager sa vie avec la personne qu’elle aime. D’autre part, cela provoque chez la personne en situation de handicap, le sentiment de perdre sa dignité. Car celle-ci se voit obligée de demander de l’argent à son conjoint pour des choses aussi essentielles que des protections hygiéniques, etc.

Malheureusement, à l’heure actuelle, une personne handicapée en incapacité de travailler est dépendante de son partenaire de vie, qu’elle soit mariée, pacsée ou simplement en concubinage.

Ce modèle d’attribution de l’AAH peut générer des situations de violence psychologique car l’entourage peut exercer une injonction à la reconnaissance ou encore incriminer le partenaire handicapé de profiter de son conjoint, amenant parfois à la rupture.

Certains choisissent donc de vivre leur histoire d’amour sous les radars, comme de simples colocataires, pour pouvoir conserver leur indépendance. Pas question ici de poster de selfie de son dernier week-end en amoureux… Et une peur constante d’être découverts et sanctionnés par la CAF.

Solidarité familiale et solidarité nationale : la balance du changement

Image décorative. Deux personnes (en papier) égales

Le principe qui opère à ce jour pour la distribution de l’AAH est celui de solidarité familiale. Comme nous l’avons vu et entendu de la bouche de plusieurs témoins, ce principe est une entrave à l’indépendance des personnes en situation de handicap.

De plus, en regardant de plus près, l’application de ce principe pose question car cette solidarité familiale ne s’exerce pas sur les parents, pourtant cellule de base de la famille. En effet, un adulte handicapé peut percevoir l’intégralité de son allocation en restant sous le toit de ses parents. Paradoxalement, un partenaire de vie même récent se voit tenu de pourvoir aux besoins financiers de la personne handicapée avec laquelle il habite.

Une solution se dessine clairement : faire prévaloir la solidarité nationale plutôt qu’une solidarité familiale peu pertinente. En d’autres termes, cela revient à individualiser l’AAH de sorte que son montant repose uniquement sur les ressources de la personne en situation de handicap.

Depuis 2017, le sujet a investi la sphère politique et  mobilise les associations  qui argumentent inlassablement en faveur de la déconjugalisation de l’AAH. Le 17 juin 2021, une proposition de loi allant dans ce sens a été étudiée. Pourtant validée par le Sénat en mars 2021, cette proposition a été rejetée par les députés de la majorité.

L’insatisfaction de ce résultat a donné lieu à une mobilisation nationale pour l’individualisation de l’AAH, suivie d’une relecture en séance publique le 12 octobre 2021. Le bilan est mitigé, puisque la proposition a rencontré l’adhésion de la majorité des chambres mais continue de rencontrer l’opposition du gouvernement.

À force d’itérations la lutte progresse, et compte désormais sur les élections présidentielles, pour faire pencher significativement la balance du côté de la déconjugalisation de l’AAH.

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